Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
À 60 ans passés, Frédéric Beigbeder continue de faire parler de lui pour son franc-parler, comme l’a encore montré récemment sa lettre ouverte adressée à Léna Situations. Dans un autre registre, l’auteur, toujours prompt à bousculer les codes, ne ménage jamais ses mots lorsqu’il aborde un sujet qu’il estime tabou : l’argent. Et dans ce domaine, sa colère reste intacte. Un coup de gueule nourri par des années d’observations.
Figure singulière de la littérature française, Frédéric Beigbeder n’a jamais caché son goût pour la provocation, ni sa facilité à secouer les débats. Et lorsqu’il évoquait, il y a deux ans, la réalité financière des écrivains, le créateur du Prix de Flore dressait un constat amer. À cette époque, celui qui se présentait comme « un CGTiste de la littérature » dénonçait la précarité du métier, la chute de ses revenus et le poids des impôts de ses années fastes. Dans un entretien accordé à l’Obs, il se livrait alors sans détour :
« Désolé mais j’ai besoin de pognon. Je n’ai pas peur de le dire, j’ai beaucoup vendu de livres dans les années 2000, un petit peu moins dans les années 2010, aujourd’hui ça marche correctement mais ce n’est plus ce que c’était. Ma carrière de cinéaste est au point mort. Ce ne serait pas un problème si on ne me réclamait pas maintenant les impôts de ma période faste. »
Il pointait aussi du doigt l’hypocrisie du monde littéraire français, où parler d’argent reste mal vu, presque honteux. Il détaillait alors le quotidien de nombreux auteurs, loin des fantasmes :
« Il y a une chose dont on ne parle jamais parce que c’est un sujet tabou, c’est que les écrivains ont besoin d’argent. Après des années de lutte, on a obtenu d’être payé pour se rendre dans les Salons du Livre, les festivals, les colloques, des foires littéraires, pour dédicacer nos ouvrages et faire des conférences. Mais on reçoit 150 ou 200 euros en échange. »
Pour l’écrivain, la France accuse un retard flagrant par rapport à d’autres pays où les auteurs sont reconnus pour leur travail en dehors du livre lui-même. Un modèle qu’il estime plus juste et plus respectueux. Comme il le soulignait, toujours à l’Obs :
« Aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, il y a des « book tours », des tournées promotionnelles. Un écrivain comme David Sedaris donne de véritables stand-up. Le réalisateur John Waters a fait de même avec son dernier livre. Les gens savent que c’est un moyen pour les écrivains de subvenir à leurs besoins. En France, on considère encore normal de nous faire travailler à l’oeil. »
Cette sortie, qui avait fait réagir au moment de sa publication, reste d’actualité tant le sujet demeure sensible. Deux ans plus tard, Frédéric Beigbeder continue d’alimenter les débats, refusant de se plier au silence que la société impose autour de l’argent. Ses coups de gueule successifs rappellent que, derrière son image de dandy provocateur, se cache aussi un observateur lucide d’un milieu littéraire encore trop frileux lorsque l’on parle rémunération.
