Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Au printemps 1968, Johnny Hallyday sillonne l’Afrique pour une nouvelle tournée qui doit l’emmener de Dakar à Fort-Lamy. Une série de concerts destinée à renforcer son aura internationale, mais qui va finalement déboucher sur un incident diplomatique aussi étonnant que retentissant. Au cœur de cette histoire, un soir mouvementé à Yaoundé… et un bannissement immédiat du pays.
Figure incontournable de la chanson française, Johnny Hallyday n’en est alors pas à son premier voyage sur le continent africain. À cette époque où la jeunesse française se soulève dans les rues de Paris, le rockeur, lui, suit un parcours festif à travers plusieurs capitales africaines. Mais lorsqu’il arrive au Cameroun en mai 1968, l’interprète du « Pénitencier » provoque malgré lui une crise inattendue, suffisamment grave pour attirer l’attention des autorités françaises et camerounaises.
Ce n’est qu’après son arrivée à Yaoundé que la situation dégénère. Les archives diplomatiques, exhumées par les auteurs du livre « Kamerun », dévoilent le rapport particulièrement sévère rédigé par un conseiller français. Et ce premier témoignage, adressé à Jacques Foccart, ne laisse aucune place au doute :
« Le 10 mai 1968, « Monsieur Smet, dit Johnny Hallyday, chanteur fantaisiste, a causé un esclandre le jour même de son arrivée à Yaoundé. Manifestement pris de boisson, il a déclenché une rixe à l’hôtel de l’Indépendance, au cours de laquelle il a frappé le ministre centrafricain de la Fonction publique qui se trouvait là »
Expulsé dans la foulée, le Français donne sa propre version au fil d’une déclaration à l’AFP à son retour. Pour lui, tout serait parti d’une altercation imprévue dans le hall de l’hôtel, alors qu’il tentait simplement de rejoindre sa chambre :
« Un type que je ne pouvais évidemment pas connaître a dit des choses désagréables à notre sujet, notamment parce que nous avons des cheveux longs. Il y avait beaucoup de monde autour de nous et j’étais pressé de prendre ma clé pour gagner ma chambre. Le type en question semblait pressé également. Il m’a bousculé. J’ai protesté. Il m’a empoigné en déchirant mon polo et en cassant la chaîne que je porte autour du cou. »
Contraint d’annuler son concert, le chanteur tente d’apaiser la situation. Malgré la confusion ambiante et l’expulsion express, il assure ne nourrir aucun ressentiment envers les habitants du pays, comme il l’affirme dans la même déclaration :
« Le peuple camerounais ? Je ne leur en voudrai pas. »
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Un an plus tard, en 1969, le président camerounais Ahmadou Ahidjo profite d’un discours à Garoua pour critiquer sévèrement la culture yéyé incarnée par Johnny Hallyday. Un passage retrouvé par l’historien Jean-François Bayart, dans lequel le chef d’État rejette fermement ce qu’il considère comme un modèle dévoyé pour la jeunesse :
« Il n’y a pas de place pour le comportement yéyé. Elle est le signe d’une jeunesse inadaptée, aigrie par le sentiment de son inutilité, de sa non-participation à l’édification de son propre avenir ».
Une manière claire de rappeler que l’« idole des jeunes » ne faisait pas partie des références que souhaitait promouvoir le Cameroun nouvellement indépendant. Des années plus tard, cet épisode demeure l’un des plus surprenants de la carrière du rockeur français. Une affaire mêlant incompréhension, choc culturel et politique locale, qui aura conduit Johnny Hallyday à une expulsion express… et à une trace durable dans l’histoire du Cameroun autant que dans la sienne.
