Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Il existe dans le paysage français ces personnalités impossibles à ranger, impossibles à réduire à une catégorie définitive – et Béatrice Dalle fait partie de celles-là. Actrice hors cadre, électron libre du cinéma hexagonal, elle a toujours cultivé un rapport frontal à elle-même comme au monde. Ce qui la distingue depuis 35 ans, c’est cette absence totale de filtre et cette fidélité à une parole sans diplomatie. Même au moment d’évoque sa vie privée.
Béatrice Dalle est une inclassable, et chacune de ses interviews tend à regorger de révélations inattendues pour le grand public. Elle l’avait d’ailleurs prouvé en 2020, lorsqu’elle avait accordé un entretien à L’Obs en marge de la sortie du film remarqué “Lux Æterna”.
Le film de Gaspar Noé, porté par Charlotte Gainsbourg brûlée vive sur un bûcher dans un dispositif ultra sensoriel, avait été le cadre d’une prise de parole d’un rare degré de mise à nu. Dalle y avait tout assumé, tout dit, tout nommé : son imaginaire, ses obsessions, ses zones d’ombre et de fantasme. Comme à son habitude, elle n’avait pas cherché à arrondir. Elle y évoquait notamment son fétiche sexuel :
« La sorcellerie, la chrétienté, c’est tout ce que j’aime réuni dans un film. J’associe beaucoup la violence et le sexy, c’est vrai. Je suis sadomasochiste, je le reconnais et je l’assume ».
Elle avait ensuite poursuivi avec cette même logique de mise à nu totale, et cette même façon de faire dialoguer violence sacrée, imaginaire religieux et désir :
« Il n’y a rien de plus érotique que le Christ crucifié (…). C’est sur le Christ de Caravage que je fantasme. Il est tellement beau : quand tu vois ça, t’es obligé d’être chrétien. Il y a une église près de chez moi, rue de Turenne, où le Christ est peint, vivant, torse nu, au plafond. À chaque fois que je passe le voir, j’ai l’impression qu’il me dit ‘Viens…’. »
Ce qu’elle disait là, et dont elle ne s’est jamais excusée, s’inscrit dans une continuité : Béatrice Dalle n’a jamais tenu un récit de vie lisible, lissé. Son parcours amoureux en témoigne. Elle a vécu avec JoeyStarr, puis a aimé un détenu lourdement condamné, et a elle-même raconté qu’elle avait frappé tous les hommes avec qui elle était. Rien dans son parcours n’a jamais été “marketé”, rien n’a jamais été calibré pour l’opinion ou pour ce que la société perçoit comme étant normal.
C’est précisément ce qui fait que Béatrice Dalle reste un phénomène culturel français à part. Elle n’est pas dans la provocation stratégique : elle est dans la vérité brute — qu’elle soit dérangeante ou non. Et c’est cette radicalité-là qui continue de la singulariser, dans un paysage public qui, lui, s’est considérablement policé.
