Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Figure incontournable de la chanson française, Serge Lama fait partie de ces artistes dont la carrière traverse les générations. Mais à 82 ans, le chanteur a choisi de tirer sa révérence, refusant l’idée de « faire le concert de trop ». Un départ mûri, mais aussi teinté d’un regard très sombre sur l’état de la culture et de la société françaises. Lucide, franc, parfois sévère, Lama ne cherche plus à arrondir les angles.
Beaucoup s’inquiètent pour la France, pour des raisons diverses et variées, et Serge Lama ne cache pas faire partie de cette longue liste. Depuis plusieurs années, l’interprète de « Je suis malade » estime que l’époque n’est plus la sienne. Et invité il y a quelques temps par Pascal Praud sur Europe 1, il n’a pas hésité à égratigner vertement la chanson française actuelle :
« Pour l’instant, la chanson française n’existe quasiment plus. Le texte n’existe plus. Les auteurs de chansons, maintenant, ils font une phrase, et après c’est n’importe quoi, pas grave ! Du moment que la musique va à peu près, ça fait le coup. »
Ce constat vient s’ajouter à celui qu’il formulait déjà dans Le Figaro un an plus tôt. Un propos bien plus global, qui dépasse la musique et touche, selon lui, à ce qui faisait le cœur du pays :
« La chanson vit des temps moroses depuis quelques années. Il y a du communautarisme culturel : chacun est dans son couloir. Je remarque aussi que l’on perd les mots. La culture française est en train de disparaître. On voit arriver des auteurs qui ne connaissent plus les mots et leur pouvoir qu’ils ont sur l’imagination ou sur le bonheur. »
Pour Lama, ce déclin est aussi renforcé par un climat jugé étouffant. L’artiste considère que l’on ne peut plus créer librement :
« Cela ne me paraît pas facile de créer aujourd’hui. On ne peut plus rien dire. Il existe un climat anxiogène car quand on dit des choses, on est attaqué par 25 associations. On ne dit plus des évidences, on fait du ni-ni. Ce n’est pas dans ma nature de rentrer là-dedans. On ne peut pas freiner la plume à chaque virgule par peur de choquer. »
Une vision qu’il relie directement à sa propre conception du métier : écrire, oui, mais pour incarner, interpréter, vivre ses chansons. Une manière de travailler qu’il voit s’effriter au fil du temps :
« Ce dont on discutait dans les salons, c’était la qualité des textes qui n’était pas ce qu’on attendait. J’étais un chanteur de scène, j’écrivais pour interpréter ces chansons devant le public. La scène est un combat. Je menais ce combat 300 dates par an. Il fallait que mes chansons tiennent la route, c’est la bonne expression. »
« La scène c’est le plus important pour un artiste. C’est un moyen de s’exprimer et de réinterpréter des chansons que le public connaît par cœur. Sur scène, je me détachais des chansons de l’album. Tous les soirs il y avait une âme différente et il faut chanter en fonction de cette âme. »
À l’heure de prendre congé, Serge Lama laisse derrière lui une œuvre immense, mais aussi une inquiétude profonde. Pour lui, la France qu’il a connue — celle de la langue, des mots, de l’audace créative — s’effrite dangereusement. Il part convaincu d’avoir accompli sa mission, mais sans illusion sur l’avenir culturel du pays.
