NBA – La lettre d’adieu intégrale de Tony Parker à San Antonio

Ok, imagine : tu as un gros entretien d’embauche qui arrive, tu as travaillé toute ta vie pour réussir dans ce domaine. Et c’est avec cette entreprise que… wow, ce job, dans ce milieu ? C’est l’un des plus beaux endroits où travailler. L’entretien est à l’autre bout du monde, mais peu importe. Tu prends un avion, et tu traverses l’océan pour rencontrer les patrons de l’entreprise.

Plutôt prometteur, non ?

Mais si beaucoup d'entre vous ont sûrement deviné que cette histoire est la mienne, je parie qu'il n'y en a pas beaucoup qui ont deviné avec quelle équipe ce workout cauchemardesque était.

C'était avec les Spurs.

C'est la vérité, j'ai joué ce qui est peut-être le pire basket de ma vie, au pire moment possible, pile devant Coach Pop et les autres. Pop et RC [Buford], ils avaient amené ce mec, Lance Blanks, un ancien joueur NBA, pour me faire faire le workout, et il m'a juste dominé. Il m'a fait passer pour… bah pour l'ado que j'étais.

Et si je parle de cette histoire c'est parce que, vous savez, les gens voient Coach Popovich comme un dur à cuire. Mais laissez-moi vous dire, c'est marrant : je n'aurais peut-être jamais intégré la ligue si Pop n'avait pas décidé de me donner une deuxième chance pour faire une nouvelle première impression. Il m'a invité pour un autre workout, et je me suis assuré de ne pas tout gâcher. J'ai joué bien mieux contre Lance cette fois-ci. Il m'a quand même bien bougé, mais j'ai tenu bon. Et je pense que j'ai montré les choses dont j'étais capable sur un terrain. Et c'était fou. Parce que peu après, je regarde la draft, et : "Avec le 28ème choix de la draft 2001, les San Antonio Spurs choisissent Tony Parker, du Racing Club Paris, France".

En d'autres mots : j'ai eu le taf :)

Et on se retrouve 17 ans après, et j'ai du mal à y croire, vous voyez ? Je suis toujours le même gamin de 19 ans. Seulement maintenant, d'un coup, je suis [aussi] ce gars de 36 ans. Et je pars pour travailler ailleurs.

Mais avant d'avancer vers ma nouvelle opportunité à Charlotte, laissez-moi écrire quelques mots.

Les gens parlent beaucoup de la "culture Spurs", à tel point que je pense que parfois, on peut oublier ce que ça veut vraiment dire. Même avec tout ce qui se dit, il y a certains moments de mon passage à San Antonio qui sortent vraiment du lot, et qui m'ont aidé à comprendre en quoi c'est différent, et un privilège, d'être arrivé dans la ligue comme un Spur.

L'une des choses quand tu arrives comme jeune joueur dans une équipe de vétérans, qui a déjà gagné un titre et qui veut en gagner d'autres, c'est qu'il n'y a pas la même marge d'erreur qu'un jeune joueur drafté dans une équipe qui joue la lotterie, où ils peuvent juste se dire : "Ok, ne te préoccupe pas du reste, on va juste se focaliser sur ton développement cette année". Et oui, c'est vrai : avec les Spurs, on était construits pour gagner. Gagner était la chose la plus importante. Mais ce dont je me rappellerai toujours, et ce dont je serai toujours reconnaissant durant ces années, c'est comment, même avec ces priorités, mon développement n'a jamais été oublié.

Les vétérans m'ont directement pris sous leur aile. Ils avaient toujours du temps, et pas dans le sens un peu grotesque : "Arrêtez-vous tous et apprenez la vie au gamin français". Plutôt des choses subtiles. Une petite leçon par-ci, une conversation par-là.

Un gars comme David [Robinson]… Je veux dire, c'était incroyable à voir. Tu as ce Hall of Famer incontestable, en plein milieu d'une saison pour aller chercher un titre, et malgré tout, il ne me voit pas, ce jeune gars qui est arrivé au même moment, comme un fardeau. Avec David et les autres vétérans chez les Spurs, ça a toujours semblé naturel. Tout le monde avait l'objectif de gagner des titres. Mais ils avaient aussi cette autre responsabilité, qu'ils estimaient toute aussi importante, de, comment dire… laisser l'équipe en meilleur état que lorsqu'ils l'avaient trouvée. Et ça, c'est la "culture Spurs" pour moi, vous voyez ? Remplir sa part du contrat, sans oublier cette plus grande responsabilité pour l'ensemble.

Bien sûr, la plus grande raison pour laquelle la "culture Spurs" existe toujours est plutôt simple, n'est-ce pas ? On avait l'un des meilleurs joueurs de tous les temps avec Tim Duncan. Le truc avec Tim c'est qu'il n'était pas seulement le meilleur joueur pendant ces années-là, il était le meilleur coéquipier. Ok, c'est un peu cliché, mais je ne pense pas que les gens réalisent à quel point la culture entière de notre équipe dépendait de Tim qui était Tim. C'est la vérité.

Tenez un exemple : les gens demandaient toujours pourquoi les joueurs dans notre équipe étaient si "coachables", comment on arrivait toujours ou presque à tirer le meilleur de n'importe quel joueur qui venait dans la franchise. Et comment, quand des nouveaux arrivaient, ils semblaient juste devenir meilleurs comme par magie, ou transformer leur éthique de travail, ou se débarrasser d'un point faible qui avait freiné leur développement. Et je dis toujours aux gens que ce n'était pas de la magie. Je leur dis qu'on avait un coaching staff d'élite, des entraineurs d'élite. Je leur dis, évidemment, qu'on avait un coach unique en la personne de Pop. Mais si vous voulez savoir ce qui nous différenciait dans la plupart des situations ? Timmy, mec. C'était Timmy. C'est aussi simple.

Voilà le truc avec Tim Duncan : est-ce qu'il était le plus grand joueur de l'histoire ? Je ne sais pas. Il est le meilleur avec qui j'ai joué, et je laisse les experts faire le reste. Mais un truc que je peux vous assurer : Timmy était le grand joueur le plus coachable de l'histoire.

Ca a toujours été notre arme secrète, pour moi. Vous voyez ce grand joueur, All-NBA First Team, MVP des finales, MVP, et il est là à l'entrainement, prêt à être coaché comme s'il se battait pour sa place. C'était irréel. Et si vous pensez que c'est une attitude trop passive pour un joueur star, dans ce cas vous ne voyez pas la situation comme Tim. Parce que Tim savait la vérité, il savait qu'il devait se laisser coacher comme ça. Ca, c'est du charisme, du panache. C'est comme s'il challengait tout le monde dans la salle : "Le meilleur joueur de la ligue est prêt à mettre son ego de côté pour le bien de l'équipe. Et toi ?"

Et c'était comme ça, vous voyez ? Les gars arrivaient, ils regardaient, et ils faisaient tous comme Tim tôt ou tard.

Ca, c'est la "culture Spurs".

Et si Tim était la première force de ce qu'on a construit, je dirais que Pop est le deuxième, et pas loin de Tim.

C'est dur d'expliquer pourquoi Pop est un leader si spécial. Bien sûr, il y a ce que vous savez. C'est un communicant de génie, un stratège, un motivateur brillant, et une très bonne personne. Mais je pense que ce qui le rend unique comme coach NBA sont ses principes : la manière avec laquelle il les a établi d'entrée, et comment il n'en a jamais dévié.

Parfois, ces principes sont en ta faveur, et c'est ce que tu veux entendre. Quand j'ai eu ce deuxième workout avant la draft même en ayant raté le premier, c'était juste Pop qui suivait ses principes. Il pensait avoir vu un bon joueur en ma personne, point. Et peu lui importait que j'ai fait un mauvais workout, il n'allait pas laisser ça se mettre en travers de ce que son instinct lui disait de faire : me redonner une chance, puis me drafter. C'était la même chose quand, dans mon année rookie, Pop a commencé à me donner de plus en plus de temps de jeu, au point que j'étais juste derrière Tim lors de notre série de playoffs face aux Lakers avec presque 40 minutes par match. C'était la même chose quand, 5 ans après, Pop a donné le feu vert pour commencer à organiser l'attaque un peu plus autour de moi, au point que j'ai été meilleur marqueur de l'équipe en 2006, et que j'ai ensuite pu faire des playoffs 2007 de feu et gagner le MVP des finales.

Mais il y a aussi l'autre côté de la pièce, avec les principes de Pop. Parfois, ces mêmes idées, elles ne vont pas dans ton sens… et ça peut être très dur à entendre. C'est ce qu'il m'est arrivé en playoffs 2003. Toute la saison, j'avais été titulaire à la mène. Mais pendant les playoffs, quand j'ai commencé à galérer un peu, Pop à envoyer Speedy et Steve à ma place dans les fins de matchs. C'est aussi ce qui s'est passé un peu plus tard cet été-là quand, après avoir gagné le 2ème titre de la franchise (mon premier) en tant que meneur de 21 ans, j'ai entendu les bruits selon lesquels les Spurs voulaient recruter Jason Kidd. Une autre expérience difficile en tant que jeune joueur était lors des finales 2005, notre troisième titre, quand Pop a décidé de donner certaines de mes responsabilités pour cette série à Manu.

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Vous voyez ce que je veux dire ?

Mais le truc, avec toutes ces expériences, bonnes comme mauvaises : elles ont fait de moi un meilleur joueur, et une meilleure personne. Et c'est juste Pop, mec. C'est pour ça qu'il est si spécial. C'est pas des conneries quand il te donne ces paroles d'encouragement… et c'est pas des conneries quand il te critique. Qu'il te mette dans le 5, qu'il te mette sur le banc, qu'il te donne les clés de l'attaque ou qu'il les confie à quelqu'un d'autre, c'est toujours le même Pop, avec les mêmes principes. Tout le temps. Et le principe est : tout ce qui se passe sous son contrôle se passe pour une raison et une raison seulement : le bien des Spurs.

Comment ne pas respecter ça ?

Et la vérité, c'est que rapidement, tu ne fais pas que le respecter, tu apprends de ça aussi.

Je pense que c'est pour ça que les Spurs, comme organisation, sont si bon à ramener autant de gros noms, de gros joueurs, en même temps. Parce que quel que soit le joueur, peu importe, la question ne change jamais. C'est toujours la question de Pop : "Comment ça va se passer ici pour que ça bénéficie les Spurs ?"

Si Timmy domine les finales 2003, alors Manu et moi on a le sourire.

Si Manu et ses cheveux bizarres (Manu, pourquoi t'as changé tes cheveux ? T'étais inarrêtable avec ta coupe chelou) dominent les finales 2005, alors Timmy et moi on a le sourire.

Si les choses vont de mon côté pour les finales 2007 et que je suis un peu dans la zone, alors Manu et Timmy, tu peux parier qu'ils auront le sourire aussi.

Et même si c'est aucun de nous, aucun du Big Three originel, et que tout d'un coup c'est le jeune Kawhi qui domine les finales 2014, alors Timmy, Manu et moi, on a le sourire comme jamais quand on soulève le trophée.

Tout ce qu'on voulait, en fin de compte, c'était gagner des titres ensemble. C'est tout ce qui comptait. C'était la méthode Pop, ce qui veut dire que c'était la notre. Ce qui veut dire que c'était la Spurs Way.

La dernière "décision à la Pop" de ma carrière en Spurs est très significative, car c'était comme l'histoire qui se répétait. Cette fois, c'était Dejounte [Murray] dans mon rôle, du jeune meneur des Spurs qui allait faire du bruit. Et moi, sur ce coup, j'étais presque le gars "à la Pop".

Je suis allé voir Pop un jour, et je lui ai dit ce que je pensais : c'était le moment pour Dejounte de prendre ma place à la mène dans le 5. Je ne voulais pas que ça fasse du bruit, ou que l'ego s'en mêle, les médias… Je voulais juste le dire, pour le bien de Dejounte et son développement, et pour le bien de l'équipe. Pop a accepté et m'a remercié. Puis je suis allé avoir la même conversation avec Dejounte. Il était reconnaissant.

Est-ce que c'était amer ? Franchement, j'essaie pas de jouer le robot ou quoi, mais même pas. C'est une histoire de discipline. C'est juste comme ça qu'on m'a élevé, et comme ça qu'on m'a formé comme joueur : toujours regarder de l'avant. Bien sûr, ne vous-y trompez pas : de temps en temps, Manu, Timmy et moi, on se retrouve pour un diner, et quand ça arrive, bien sûr, il y a de la nostalgie. On ne peut pas s'en empêcher, on passe un super moment en partageant ces souvenirs. Mais pendant la saison ? Quand je suis en mode travail ? Quand tu es en mode travail dans cette ligue, tu dois être discipliné : le présent reste le présent, le passé reste le passé.

Mais j'ai essayé de garder ce moment. Je voulais que Dejounte sache qu'il l'avait mérité, mais aussi que la décision, au final, découlait de la même chose dont toutes les décisions découleraient pendant tout son passage à San Antonio : le bien des Spurs.

Et en grande partie, je pense que c'est aussi comment j'ai voulu que cet été se passe. Dans quelques années, quand je prendrai ma retraite, il y aura un moment pour la nostalgie. Mais jusque là ? J'ai signé un contrat de 2 ans à Charlotte, et je suis très excité de l'honorer. Ce sera une toute nouvelle expérience pour moi, avec une nouvelle organisation. Et si vous cherchez une 2ème équipe à soutenir à l'Est… jetez un œil à ce qu'on va faire :) Je promets qu'on va leur donner du fil à retordre.

Mais surtout, je voulais juste dire merci.

Merci à l'organisation Spurs, du premier au dernier échelon, pour la plus magnifique opportunité de ma vie et pour 17 ans du plus beau métier sur terre. Merci aux fans des Spurs, partout, pour toujours avoir été présents, toujours faire du bruit, et m'avoir toujours, toujours supporté. Et merci à la ville de San Antonio, que je ne peux appeler que d'une seule manière maintenant : ma maison.

La vérité, c'est que c'est impossible de résumer ce que mon passage aux Spurs a signifié pour moi dans une lettre comme ça.

Mais j'imagine que c'est aussi la beauté du basket, et de la vie d'une certaine manière. Comment ça devient moins un résumé de choses, et davantage une collection de moments. Comment vous "devenez" ces moments, en fait, vous voyez ? Toutes ces relations, ces conversations, ces leçons, ces décisions. Toutes ces petites choses qui t'infiltrent, qui te modulent, et, si tu as de la chance, qui finissent par te définir.

Et même si je n'essaierai pas de définir ce que je suis devenu durant ces 17 années dans une lettre, je peux dire ça avec certitude : je dois en remercier les Spurs et San Antonio.

Et j'emporterai ça avec fierté

Tony Parker

Traduit de : Player's Tribune

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